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Ce « mur de la honte » dont les Mexicains ne veulent pas

Por: Nancy Caouette (La Croix)

 
07 de Septiembre del 2016

Artículo publicado en La Croix

Ce « mur de la honte » dont les Mexicains ne veulent pas

Nancy Caouette, à Ciudad Juárez (Mexique)

La muraille que Donald Trump propose de construire au sud des États-Unis constitue une insulte pour les Mexicains, notamment ceux qui vivent à proximité de la frontière.

Non seulement ce rempart de plus de 3 000 kilomètres aurait des conséquences catastrophiques pour les deux pays, mais il ne ralentirait pas le flux migratoire, prédisent ses détracteurs.

En bordure d’un canal bétonné dans lequel file à vive allure une eau de pluie inespérée dans ce désert, la caricature de Donald Trump tire la langue aux agents de migration américains. Ce drain construit sur le Rio Bravo sépare Ciudad Juárez de sa ville jumelle texane, El Paso. Sur le graffiti, le milliardaire à la saillante frange blonde s’affaire à poser les premières briques du litigieux mur qu’il souhaite ériger à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

« J’ai voulu montrer à quel point Donald Trump constitue une vaste blague, raconte en souriant Sin Sentido, l’auteur du graffiti. Je l’ai habillé en écolier pour montrer qu’il s’agit d’un enfant gâté pour qui la vie a toujours été facile », explique l’artiste mexicain, qui avoue craindre que Donald Trump ne mette ses menaces à exécution s’il est élu en novembre.

Depuis le début de sa campagne électorale, Donald Trump multiplie les insultes à l’égard des sans-papiers mexicains qui vivent aux États-Unis, les qualifiant tantôt de « criminels », tantôt de « violeurs ». Expulsion d’un million d’immigrants illégaux, construction d’un mur de 3 140 kilomètres dans le sud des États-Unis : les menaces proférées par le magnat de l’immobilier sur le Mexique en ont fait un homme à la fois détesté et craint par ses voisins méridionaux.

« Trump ferait bien mieux de prévoir des échelles ! »

Au moment même où le Mexique pensait avoir subi son lot d’humiliation lors de cette campagne présidentielle américaine, le président Enrique Peña Nieto a pris son pays par surprise le 31 août en recevant Donald Trump à Mexico.« Pourquoi avoir invité dans notre maison celui qui nous a craché au visage ? », ont questionné les manifestants réunis à Mexico ce jour-là. Sur les réseaux sociaux, les Mexicains ont envoyé par milliers un message clair au candidat républicain que le président Nieto a omis de transmettre : « No habrá muro »(« Il n’y aura pas de mur »).

« Cette idée de mur est grotesque. Les migrants trouveront toujours une façon d’entrer ou de sortir des États-Unis, avec ou sans mur. Trump ferait bien mieux de prévoir des échelles ! », ironise Valeria Moy, professeur d’économie à l’Institut technologique autonome du Mexique. Une idée que partage Dylan Corbett, directeur du Hope Border Institut, un organisme catholique qui combat la pauvreté et réclame plus de justice à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. « Cette idée de mur est farfelue et je ne crois pas qu’elle se réalisera. La frontière est déjà beaucoup trop protégée, ce n’est pas sain ! » s’exclame-t-il tout en contemplant la frontière depuis un belvédère érigé dans une montagne de la ville d’El Paso, au Texas.

Le jeune laïc américain cite fréquemment des passages de l’encyclique sur l’environnement du pape François pour expliquer les réalités qu’affrontent les migrants qui escaladent des murs et traversent d’indomptables déserts pour vivre dans la dignité.

De terribles conséquences sur le commerce

Bon an mal an, 140 000 migrants – surtout des Centre-Américains – tentent d’atteindre les États-Unis. Ils abandonnent maison, famille et repères dans l’espoir de gagner décemment leur vie et d’améliorer leur sort ainsi que celui de leurs proches qu’ils ne reverront peut-être jamais. « Ce sont des réfugiés et non des immigrants illégaux comme le disent souvent les médias occidentaux, insiste Dylan Corbett. Le Salvador, le Honduras et le Guatemala traversent actuellement une crise humanitaire. La pauvreté, la violence, le trafic de drogue, l’instabilité politique poussent leurs habitants à la fuite. Il faut s’attaquer à la racine du problème et ce n’est pas un mur qui permettra de le faire. »

L’économiste Valeria Moy note, pour sa part, que la construction d’un mur frontalier aurait des « conséquences politiques et économiques terribles » pour le Mexique. L’entrée en vigueur du traité de libre-échange nord-américain (Alena) en 1994 a fait exploser à la frontière mexicaine le nombre d’usines d’assemblage et de montage multinationales – appelées maquiladoras – qui emploient près de 2,5 millions de personnes. « Si Trump était élu et que le mur se construisait, ce serait catastrophique pour le Mexique : 80 % de nos exportations sont destinées au marché américain », souligne-t-elle.

Pour illustrer ses propos, l’enseignante explique qu’une voiture peut traverser jusqu’à huit fois la frontière mexicano-américaine avant d’être proposée sur le marché. La construction d’un mur impénétrable se traduirait par une augmentation considérable des coûts de production et de transport des produits.

La fausse solution au trafic de drogue

« Selon la logique du mur de Trump, les biens de consommation destinés au marché américain ne pourraient plus être produits ici. Les consommateurs américains verraient le prix de leurs produits doubler, voire tripler, car la majorité des composants des biens qu’ils consomment proviennent du Mexique », souligne Valeria Moy.

Quant au trafic de drogue que Donald Trump souhaite contenir grâce à son mur, Dylan Corbett constate, pour sa part, que l’augmentation des contrôles à la frontière n’a jamais limité l’offre de drogue dans les rues des villes américaines.

« La drogue est financée par les Américains et les armes des cartels de la drogue proviennent des États-Unis. Construire un mur revient à fermer les yeux pour ne plus voir le problème. On diabolise l’autre pour éviter d’assumer sa part de responsabilité dans le malheur que vit l’autre », conclut-il.

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